Imaginez si soudainement, de nombreuses femmes sur twitter se mettaient à poster des photos d’elles en petite tenue, de leur plein grès. Une aubaine, jour de liesse, pour tous ceux et celles qui demandent des nudes à tour de bras par mp et s’échangent des nudes volés postés sur le net par un ex énervé. Un jour bien sympathique pour ceux et celles qui apprécient les jolies photos sexy. Quand aux plus pudiques comme moi, on coche la case « Ne pas afficher les contenus sensibles » sur twitter, et l’affaire est réglée.
Cette situation est devenue réalités avec le hashtag #JeSuisCute, ou de nombreuses femmes – et quelques hommes qui les ont rejoint dans cette joyeuse débauche d’amour de soi-même – se sont mis à poster des photos plus ou moins dénudées – souvent en sous-vêtement – sur twitter. Beaucoup de photos en noir et blanc, dans la pure tradition du nu artistique.
Au passage, pour passer une image en noir et blanc sous photoshop, ne fait pas « passer l’image en niveau de gris » mais « Modification > Réglages > Noir et blanc » pour choisir différents profils par défaut voir faire votre propre tambouille, pour un résultat beaucoup plus propre. Mais hum, je m’égare.
Nous disions donc. Des tonnes de photos dénudées sur twitter, et pour une fois ce ne sont pas des nudes volées mais bien des photos postées de leur propre grès par leur propriétaire. Les réactions de ces messieurs ? Comme toujours des personnes qui s’en foutent, des personnes qui apprécient en silence, mais surtout une bonne partie qui s’exprime avec virulence pour dire que ça ne va pas, pas du tout. C’est quoi ça, c’est #JeSuisPute ? Elles n’ont pas honte de s’exhiber comme ça ? Imaginez vous rencontrez la femme de votre vie et elle a déjà postée des photos d’elle sur internet, inconcevable. Une femme se doit d’être pudique et de se réserver pour son futur mari. Ce sont vraiment toutes des attentions whore qui ne pensent qu’à leur physique. Et elles sont pas cohérentes franchement, elles râlent quand ils ont l’amabilité de leur envoyer des photos de leur pénis, mais osent s’afficher de la sorte en public !
Ces propos vous rappellent le guide de la bonne épouse des années 60 ? Effectivement, on en est pas loin (sauf qu’il devait pas y’avoir de dick pic dans les années 60. Mais je suis sure qu’il existait un équivalent, peut-être dessiné à la plume avec une petite touche de calligraphie ?).
Il n’y a pas que des hommes pour s’outrer bien évidemment. De nombreuses femmes protestent contre ces photos, selon elles ce n’est pas correct de s’afficher à demi-nue, « Je suis cute » devrait se limiter à des photos du visage et de corps habillées. De ce coté aussi, les propos assimilant le mouvement à de la prostitution sont légions.
Bon et donc, il est ou le problème en fait ? Quand on discute avec les personnes protestants contre les photos dénudées, on a droit a plusieurs argumentaires. On peut se voir sortir des textes de loi sur la pudeur par exemple (ou l’on apprendra que les hommes torses nu dans les transport transgressent la loi, mais étrangement ils se font rarement interpellés. On reprochera aux participantes du mouvement de se mettre en danger et d’attirer les prédateurs.
L’idée de « se respecter » revient souvent aussi. Quand a attirer les personnes intéressées par ces photos et bien, oui bien sur, les femmes qui postent ces photos ont conscience de cela. Et elles s’en fichent. Que ces hommes se masturbent en regardant leur photo si ils veulent, et tout le monde est content. Mais non, non ça ne passe pas.
Néanmoins certaines critiques sont déjà plus pertinentes :
Gros sujet. Les codes sociaux de ce qui est sexy et de ce qui ne l’est pas, c’est compliqué à démêler et à expliquer. Mais effectivement on peut constater que bien souvent ces photos reprennent les codes sociaux assignés à « ce qui est sexy ». Mais justement reprendre ces codes pour soi-même, ne serait-ce pas un début d’appropriation pour pouvoir ensuite passer à autre chose ? Les tenues et positions inconfortables assignés aux femmes sont légions (les talons hauts qui rendent la marche instable, les jupes qui forcent à faire attention lorsqu’elles s’assoient, les heures chez le coiffeur pour « prendre soin de soin » etc) et ces postures arquées issues de l’érotisme et de la pornographie initialement destinés à être consommés par des hommes cisgenre en font partie.
Pour ma part, si je devais « reprocher » une chose au mouvement « je suis cute », c’est cette espèce de dérive vers le courant body positive de ces photos. Les photos de femmes correspondant à la norme sociale de la taille 38 sont très nombreuses, les femmes dépassant la taille 40, beaucoup moins nombreuses. Le problème du courant body positive, en très bref, c’est de vouloir absolument « être beau », alors qu’on peut aussi dire « j’ai une sale gueule et ça me va très bien ». Même si je comprend bien que « Je suis cute » c’est surtout une manière de dire « je m’aime intérieurement et extérieurement comme je suis ». C’est un sujet complexe que je ne souhaite pas traiter ici, mais je trouvais important de le souligner.
Nombreux sont les messages critiquant l’attitude exhibitionniste de ces femmes. Je tique pas mal sur le fait que très souvent, le corps de la femme est une sorte d’objet artistique servi à toutes les sauces, en témoignent les très nombreuses œuvres mettant en scène le corps de « la femme » comme un objet. Je viens de déménager et je passe pas mal de temps dans les magasin de décoration, et je peux vous dire que des tableaux de femmes nues plus ou moins stylisées, vous en trouvez à la pelle, mais si vous cherchez un homme nu bon courage. Alors oui on est dans le domaine artistique. La photographie elle aussi a son courant de photos érotiques. Se mettre en scène pour se plaire à soi-même, c’est quand même plutôt cool. Poster la photo sur internet pour banaliser cette nudité et qu’on arrête d’enquiquiner les meufs sur leur tenue ou n’importe quel détail de leur apparence (les poils par exemple. Aaaah les poils) c’est très cool aussi. Et franchement, y’en a vraiment marre de cette pudeur à 2 vitesses pour les femmes et les hommes. Les gars se baladent torse nu, voir se foutent à poil en pleine rue quand on gagne la finale de la coupe du monde, ça dérange personne, même c’est drôle, c’est cool. Des femmes choisissent de s’aimer pleinement et l’expriment, c’est la levée de boucliers.
Des exemples de cette pudeur à 2 vitesses, il y en a des tas. Une mère sort le sein pour nourrir son enfant, utilisée 1ere de l’attribut, et tous le monde crie à la pudeur bafouée, qu’elle aille se cacher dans les toilettes pour ne pas gêner les gens autour. C’est la canicule, il fait chaud, il y aura toujours quelqu’un pour faire remarquer que quand même, il est un peu court ce short. Une adolescente met un débardeur, on lui reproche de « distraire les garçons » avec la bretelle de son soutien gorge apparente… Bref, de manière générale, il y a une sexualisation très forte du corps des femmes qui leur fait perdre le droit à disposer d’elle même comme elles le souhaitent. Le mouvement #JeSuisCute, en envahissant l’espace public de photographie prises par elles-même, dans lesquelles elles choisissent comment elles souhaitent apparaitre, banalise une nudité qui n’aurait jamais du devenir aussi problématique. Alors bien sur, on ne va pas soudainement tous se retrouver insensible aux corps nus et faire du naturisme H24 dans toutes les villes de France, mais la pudeur évolue. Et puis bon, pourquoi ce qui est acceptable sur la plage ne l’est pas le reste du temps ? Ça dépasse l’absurde.
Quand à la notion d’exhibitionnisme… A l’ère d’internet et des réseaux sociaux ou nous sommes nombreux à montrer notre quotidien jusque dans ses plus infimes détails… je crois que la notion d’exhibitionnisme a pas mal changé. Nos photos de nos vacances à la plages sont-elles des photos exhibitionnistes ? S’exhiber dans la rue, c’est imposer notre nudité à tout le monde autour. Mais sur twitter, les outils pour ne pas se voir imposées ces photos sont nombreux. De manière général, l’omniprésence d’internet et des réseaux sociaux nous force à réinventer les mots « pudeur » et « intimité ». Chacun, selon son éducation et ses principes, en aura une définition différente.
« Pourquoi les mecs cishet adorent se branler sur des photos volées mais sont dégoûtés quand une meuf poste volontairement un joli nude ? » se demande une utilisatrice twitter.
Pour Ludivine, Doctorantise en Gender & Porn Studies,la réponse se trouve dans la notion de contrôle de son propre corps et donc de pouvoir. [Lien vers le thread originel]
Parce que ce qu’il y a de bandant dans une photo volée, c’est d’être en position de dominant. D’avoir le pouvoir. Quand une meuf poste volontairement une photo, ils n’ont aucun pouvoir. Parce que ce qui les fait bander, c’est d’objectifier le corps et la sexualité des femmes. Dès lors qu’elles deviennent sujet en s’appropriant corps et sexualité, elles enlèvent ce pouvoir aux hommes.
On apprend aux filles à dédier leur sexualité aux hommes. Leur corps aux hommes. Quand elles commencent à tourner leur corps et leur sexualité vers leur PROPRE plaisir (par ex en postant des nudes parce qu’elles se trouvent belles), le pouvoir change de mains.
Il est toujours plus facile de manipuler un individu à la faible estime de soi qu’un individu ayant pleine conscience de son pouvoir. Dans le même principe, il est par ex dans l’intérêt des hommes que nous soyons complexées par nos corps. Ainsi nous avons besoin d’eux pour avoir une bonne estime de soi. (et continuer à dédier nos corps et nos sexualités aux hommes. Et ainsi garantir la hiérarchie hétérosexuelle) Quand Monique Wittig dit « les lesbiennes ne sont pas des femmes », elle signifie que les corps et les sexualités des lesbiennes ne sont plus dédiés aux hommes.
Une femme qui poste un nude (parce qu’elle se trouve belle) ne dédie plus son corps et ses sexualités aux hommes. Elle cesse ainsi d’être une femme. Car une femme doit « se respecter » aka « dédier son corps et ses sexualités aux hommes
A lire en complément : « La pensée straight » de Monique Wittig
La réflexion de Ludivine me fait penser à la logique derrière le viol. Un homme qui viole une femme ne le fait pas tant par désir sexuel que par volonté de dominer. Dans le même ordre d’idée, diffuser une photo de nude pour se venger d’une rupture recrée cette notion de domination par le sexe. Parce que la sexualité de la femme c’est honteux, ou du moins c’est ce qu’on nous a appris à tous depuis l’enfance. Quand une femme prend le contrôle de son corps et de sa sexualité, quand elle dépasse les lignes tracées par la société, ça pose problème pour beaucoup de monde.
Je reviens sur la dernière phrase » Une femme doit « se respecter » aka « dédier son corps et ses sexualités aux hommes ». Effectivement cette définition du terme colle bien avec les réflexions constatées en réponse à ce hashtag. Parce que ces femmes font ce qu’elles veulent de leur corps en le montrant, en le cachant en étant sexy pour elles-mêmes avant tout, elles se placent dans une position de pouvoir sur leur image et agissent seulement pour elles-même. Et si ce n’est pas pour plaire aux yeux des hommes, alors ce sont « des putes ».
Je passerais sur toute la problématique d’insulter les travailleuses du sexe à tout bout de champ, sinon ce post ne se terminera jamais. Ce qui est sur, c’est qu’il n’y a aucune honte à avoir une sexualité. Il n’y a aucune honte à faire des photos un peu érotique, à se trouver belle. Le sexe n’est pas quelque chose de honteux. Les corps des femmes non plus.
Pour résumer. Des femmes postent, de leur plein grès, des photos d’elle-même sur le net. Effectivement, des personnes mal intentionnées pourraient les enregistrer pour faire pression sur elle plus tard. Sauf que vu que les photos ont été postées en public de base, difficile de faire pression avec. Cette réflexion rejoint les propos de Ludivine au dessus. Le pouvoir change de main.
Au final, je vois pas pourquoi c’est si compliqué à comprendre. Chacun fait ce qu’il veut de son corps. Alors si on veut couvrir ses cheveux d’un voile, on le fait. Si on fait poster des photo de soi en petite tenue sur internet, on le fait. Si on veut porter un débardeur sans soutif parce qu’on est plus confortable comme ça, let’s go. Et nous devrions toutes nous serrer les coudes et ne pas se gargariser de ne pas poster de photos de soi dénudé « parce que nous on est pas comme ça ». Sérieusement les filles. J’ai été comme ça. J’ai été cette meuf qui se rengorgeait de « pas être comme les autres filles » et de n’avoir que des amis garçons et… C’était vraiment con. Je me grimais en mec dans mes propos et mes attitudes pour plaire aux mecs, pour être intégrés dans leur groupe social. Quand vous postez fièrement des photos de vous même habillées en dénigrant celles qui postent des photos peu vêtues, vous contribuer à entériner ce concept selon lequel le corps de la femme est à disposition des hommes en tant que groupe social, vous recherchez leur approbation, de peur d’être exclue vous aussi. Alors que merde, on fait bien ce qu’on veut. On se montre, on se montre pas, c’est du pareil au même, tant qu’on le choisi. Serrons-nous les coudes bon sang de bois !
L’émancipation des femmes, ça passe peut-être par montrer son cul sur internet, comme fut un temps mettre un pantalon ou un mini jupe était un acte follement outrageant et totalement militant. Pour pouvoir ensuite choisir de le faire, ou ne pas le faire, mais de faire ce qu’on veut sans se faire ennuyer.
Un peu comme le samourai qui s’entraine des année avec son sabre et qui après décide de ne jamais le sortir tout ça.
L’égalité homme /femme, ça sera le jour ou des actes similaires engendrerons des réactions similaires. Pour le moment, c’est pas gagné.
Merci pour ce très bon post qui pose les bases de ce hashtag que j’ai découvert il y a 2h et qui avait tellement enflé en trolls à tout va que je n’arrivais même plus à en cerner les enjeux de base (même si je m’en doutais bien).
Je suis totalement d’accord avec ta réflexion sur le sujet et voir les réactions de tous ces mecs offusqués est révélateur des inégalités qu’il reste à combattre. Bon courage à vous Mesdames, vous avez encore bien trop à supporter, malheureusement.
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